Qu’attendre des 24H du Mans 2023 ?

Le centenaire des 24H du Mans c'est dans un mois. Aura-t-on enfin droit à une course palpitante ?

Oyez oyez braves gens: dans un mois aura lieu un événement plein de suspens, de rebondissements et de drame: les 24H du Mans ! Il fallait bien ça pour célébrer dignement le siècle des 24H.

GTE-Pro c’est fini

Avant d’entrer dans le vif du sujet, notons tout de même qu’une fois de plus nous avons eu droit à une décision totalement aberrante de la part des instances du WEC: en 2023, exit la catégorie GTE-Pro¹.

Alors OK, l’année passée cette catégorie était devenue triste à mourir avec seulement deux constructeurs, Porsche et Ferrari. Il fallait faire quelque chose, de préférence pas n’importe quoi. Ben c’est raté. Jugez plutôt:

Le plan est de remplacer le GTE-Pro par une nouvelle catégorie dès 2024, portant le titre ronflant de “GT3 Premium”. Ou “LM GT3”, ils ne savent pas bien encore.

Ce qu’on sait en revanche c’est que lors de l’annonce (fin 2022), l’ACO² déclarait vouloir se servir de la base technique actuelle des GT3, mais “en ajoutant des modifications visuelles obligatoires sous forme d’un kit aérodynamique dont le coût devra se situer entre 50.000 et 100.000 €. Kit qui ne doit pas améliorer les performances et que l’on peut retirer pour remettre la voiture en conditions GT3“.

Je pense qu’il est grand temps que l’ACO arrête sa consommation excessive de substances hallucinogènes, parce que ça devient du grand n’importe quoi. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à trouver cette nouvelle lubie complètement délirante.

Thomas Laudenbach, le patron de Porsche Motorsport, a interpellé l’ACO en leur priant de bien vouloir expliquer comment une plateforme très avancée comme le GT3 pourrait devenir encore plus “premium” que ce qu’elle n’est déjà ?

Thomas Jaeger de Mercedes-AMG a demandé quant à lui comment toute modification aérodynamique pourrait être réalisée sans impact sur les performances ?

J’ajouterai en outre que cette nouvelle fantaisie entre en contradiction totale avec la volonté de l’ACO (louable pour une fois) de diminuer les coûts engagés par les équipes.

Puis, après moult échanges avec constructeurs et pilotes, il semblerait que l’ACO ait finalement pris conscience de la crétinerie de sa démarche: la FIA a confirmé que la nouvelle catégorie (dénommée “LMGT3”, ce coup-ci ils sont sûrs), “autorisera les kits aérodynamiques spécifiques sans les rendre obligatoires. Ces kits pouvant améliorer ou non les performances.”

Bref, plus de catégorie GTE-Pro en 2023 pour donner le temps aux constructeurs de … ne rien changer pour 2024. Ah si, la catégorie change de nom. Voilà le geste fort que tout le monde attendait.

Avec une telle réforme, les constructeurs vont se bousculer au portillon, c’est sûr.

Un siècle des 24H du Mans

Je ferme la (longue) parenthèse du GTE-Pro, mais c’est pour que vous ayez une petite idée des caprices insensés que l’ACO pond régulièrement.

Forces en présence

Cette année nous aurons du spectacle avec un plateau bien garni (pour autant qu’il n’y ait pas trop d’abandons). Ça nous changera des années précédentes.

Pas moins de 7 constructeurs s’affronteront pour la victoire (par ordre alphabétique):

1. Cadillac
2. Ferrari
3. Glickenhaus
4. Peugeot
5. Porsche
6. Toyota
7. Vanwall

Cadillac Hypercar

• 0 victoire au Mans (0 participation)
• 2 voitures au départ

Dans mon imaginaire d’européen basique, quand j’entends “Cadillac”, je vois ce genre de truc:

À ma grande surprise (et heureusement) Cadillac fabrique aussi autre chose, comme la voiture engagée au Mans:

Il serait mal venu de ne pas les prendre au sérieux pour leur première participation au Mans car le constructeur a enchaîné 4 victoires de suite aux 24H de Daytona entre 2017 et 2020. Pas impossible que Cadillac nous réserve la surprise du chef.

Ferrari 499P

• 9 victoires au Mans (1949, 1954, 1958, 1960, 1961, 1962, 1963, 1964, 1965)
• 2 voitures au départ

Ferrari, le constructeur dont tout le monde attendait le retour aux 24H. Rendez-vous compte: la dernière participation de Ferrari au Mans remonte à 1973 ! Tous les regards seront tournés vers les deux 499P et leur équipage, qui auront une pression énorme pour ne pas décevoir leur fans.

Heureusement, ils peuvent compter sur une voiture performante car après Toyota c’est eux qui font les meilleurs résultats.

Glickenhaus SCG 007

• 0 victoire au Mans
• 2 voitures au départ

La petite équipe de Monsieur Glickenhaus déclare de manière un peu pompeuse sur leur site: “Cela fait plus de 50 ans qu’une voiture fabriquée en Amérique n’a plus gagné au Mans. Nous avons travaillé pendant 50 ans pour changer cela. Ce n’est que le commencement.”

Mouais… C’est bien d’être ambitieux, mais 50 ans c’est long quand même.

Ils étaient déjà présents lors des deux saisons précédentes du WEC mais n’ont pas vraiment brillé, essentiellement pour des problèmes de fiabilité.

Peugeot 9X8

• 3 victoires au Mans (1992, 1993, 2009)
• 2 voitures au départ

Nouveau venu pour cette saison du WEC, cette Peugeot 9X8 a été expressément conçue pour gagner les 24H du Mans. Mais au vu des résultats très décevants depuis les débuts de cette auto (fiabilité et performance), il faut bien avouer que c’est mal engagé.

Petit détail amusant, les photos que vous avez sous les yeux montrent bien la voiture complète. On pourrait croire qu’il manque l’aileron arrière, mais non, la voiture en est tout simplement dépourvue, ce qui lui donne un air de “pas-fini”.

À part faire les malins en proclamant “We didn’t want a rear wing”, je n’ai aucune idée de la raison profonde de cette excentricité. Peut-être Peugeot devrait-il passer un peu plus de temps sur la fiabilisation de son auto et un peu moins sur son design ?

Porsche 963

• 19 victoires au Mans (71 participations)
• 4 voitures au départ

Mesdames et Messieurs, veuillez accueillir comme il se doit le constructeur le plus titré au Mans avec pas moins de 19 victoires !

D’ailleurs, Porsche détient à peu près tous les records au Mans: plus grand nombre de participations, plus grand nombre de victoires consécutives, plus grand nombre de doublés, plus grand nombre de triplés, plus grand nombre de podiums, …

Comme je le disais, l’objectif est ici de marquer le coup (comme si c’était encore nécessaire) avec une vingtième victoire pour le centenaire des 24H. Porsche n’a pas lésiné sur les moyens car pas moins de 4 voitures (3 usine et 1 privée) prendront le départ.

Vus les résultats des premières épreuves de la saison 2023 du WEC, je crois néanmoins qu’il sera difficile pour Porsche de revenir victorieux de la Sarthe.

Toyota GR10 Hybrid

• 5 victoires consécutives au Mans (2018 à 2022)
• 2 voitures au départ

Équipe victorieuse des 5 dernières éditions, elle semble imbattable. Certes, Toyota n’avait pas vraiment de concurrents sérieux pendant ces 5 années, mais vu l’écart de performance entre Toyota et les autres sur les premières épreuves de la saison, je me dis qu’il sera très difficile de les battre à la loyale.

Vanwall Vandervell 680

• 0 victoire au Mans (10 participations)
• 1 voiture au départ

Sous ce nouveau nom se cachent les anciens de Bykolles, une autre petite équipe qui a déjà à son actif une dizaine de participations au 24H du Mans. Malheureusement, elle n’en n’a jamais fini une seule. Enfin si, mais ça ne compte pas vraiment car c’était avec une Audi. Il y a même eu une année où la voiture n’a pas su boucler le premier tour.

Résumé des premières courses

Quand on regarde les résultats des premières courses de cette saison du WEC, c’est pas vraiment la fête du côté Porsche:

• Les 1000 miles de Sebring (8 heures): Doublé Toyota, 2 tours devant les plus proches poursuivants: Ferrari et Cadillac. Porsche ne fait que cinquième et sixième à 4 tours des vainqueurs.
• 6H de Portimao: Premier podium pour Porsche, derrière Ferrari et Toyota qui met encore 1 tour au deuxième.
• 6H de Spa: trois Porsche au départ (deux usine et une privée), mais ça n’a pas vraiment servi puisque c’est encore un doublé Toyota. La meilleure Porsche termine quatrième mais cette fois dans le même tour que le vainqueur.

Pour le championnat IMSA outre Atlantique où la Porsche 963 est aussi en lice (mais les Toyota absentes), c’est à peine mieux:

• 24H de Daytona: La meilleure Porsche termine en quatorzième place à 34 tours du premier
• 12H de Sebring: neuvième et onzième places pour Porsche (ce n’est pas la même course que les 1000 miles de Sebring du WEC: elles ont lieu le même week-end mais ce sont bien deux courses et championnats distincts)
• Grand Prix de Long Beach: enfin une première victoire pour Porsche qui finit premier et troisième. Mais on ne peut pas vraiment parler d’endurance car la course ne fait qu’une heure et quarante minutes.

Pronostics ?

Rappelez-vous mon billet sur l’année anniversaire pour Porsche: j’y écrivais que si Porsche inscrivait une vingtième victoire pour le centenaire du Mans, ça marquerait les esprits. Hélas, si j’étais à la place de Porsche, je ne me ferais pas trop d’illusions…

Certes il y a une certaine progression depuis le début de saison, je pense néanmoins qu’aller chercher la victoire au Mans va être très compliqué pour eux.

Toyota occupe la place de leader depuis 2018 car aucun concurrent sérieux n’était là pour jouer les trouble-fêtes. Ils ont donc disposé de 5 ans pour affûter leurs voitures, leurs équipes et leurs pilotes, avec la seule pression de finir la course.

Je ne crois pas qu’avec seulement 6 mois et 3 courses de recul, les autres concurrents soient en mesure de battre Toyota à la régulière.

Je n’ai évidemment pas de boule de cristal et bien malin celui qui pourra prédire le vainqueur du centenaire, même si les statistiques sont en faveur de Toyota.

Par contre, je peux vous dire qui ne gagnera pas: Glickenhaus et Vanwall. Ces deux équipes m’inspirent la plus grande sympathie et je leur lève mon chapeau pour leur engagement. Mais elles ne peuvent malheureusement pas rivaliser avec les moyens colossaux déployés par les grands constructeurs.

Le renouveau tant attendu

Comme beaucoup, j’espère sincèrement que cette édition spéciale “1 siècle” des 24H du Mans apportera ce qu’on est en droit d’attendre de la course la plus prestigieuse au monde: spectacle et suspens jusqu’au bout.

Après 5 années de vache maigre où Toyota gagnait sans panache, il était grand temps que l’endurance retrouve ses lettres de noblesse. Il est un peu tôt pour le dire, mais à priori ça semble bien parti.

Rendez-vous donc les 10 et 11 juin prochains dans la Sarthe pour le renouveau de l’endurance.