Encore une suite de nombres à 3 chiffres. Celle-ci rime avec "Turbo" et "années 70". Explications.

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Pour fêter dignement la sortie de la nouvelle 911 Turbo, on ne vas pas en parler (ou presque). On va plutôt discuter de l’arrivée du turbo en compétition dans les années 70.

La nouvelle Turbo

Porsche avait dévoilé la 992 Turbo S il y a quelques mois déjà: c’était début mars, et je l’avais raté. Premier point commun avec la Turbo de 1974: planning de présentation un peu loupé (crise pétrolière pour l’une, crise sanitaire pour l’autre).

Cet été il s’agit donc bien de la Turbo “tout court” (pas la version “S”) qui vient d’être annoncée, mais pas d’inquiétude, je vais tout bien résumer:

  • Mars 2020: 992 Turbo S: moteur de 3,8 L, 650 chevaux et 800 Nm de couple, 0-100 km/h en 2,7 secondes.
  • Juillet 2020: 992 Turbo: moteur de 3,8 L, 570 chevaux et 750 Nm de couple, 0-100 km/h en 2,8 secondes.

Pour le reste c’est du “classique” (comme toutes les Turbo depuis la 993): aileron arrière fixe, prises d’air latérales et transmission intégrale.

Si vous possédez 200.000 € dont vous ne savez que faire, sachez que vous pourrez acquérir la version de base, affichée à un peu plus de 188.000 €. Par contre, pour la version S, il vous faudra une petite allonge car elle coûte tout de même un peu plus de 221.000 € (30.000 € pour un dixième, ça fait cher la seconde).

Je ne vais pas m’étendre sur cette nouvelle 911 Turbo très longtemps: elle est évidemment plus rapide que la précédente, plus large et plus belle. Euh non, pas plus belle: même avec son aileron fixe, elle garde un cul d’Audi.

La nouvelle Porsche 992 Turbo. Notez l'échappement spécial La nouvelle Porsche 992 Turbo, version S

Bref, je vous renvoie vers la presse sponsorisée par Porsche pour découvrir cette nouvelle Turbo sous tous les angles. Moi, je préfère évoquer les Porsche Turbo de compétitions des années 70.

La 930: version route

Un peu comme pour la 2.7 RS, Porsche a sorti la version route Turbo de sa 911 dans le but d’homologuer le modèle de compétition. Et Porsche l’a fait au pire moment, juste pendant la crise pétrolière des années 70 où le prix du carburant a fait fois 4 (ça c’est de la croissance mon bon monsieur).

Si vous avez besoin d’une piqûre de rappel, j’évoque en détail la genèse de la 930 dans ce billet consacré aux numéros de la 911.

La 934

Le but étant bien entendu d’en décliner un modèle de compétition en groupe 4: la 934.

En 1975, le groupe 4 de la FIA reprend les voitures de productions homologuées “spéciales”. Les contraintes sont assez strictes: la voiture doit correspondre extérieurement au modèle de route. Pas question donc d’ajouter moult artifices aérodynamiques fantaisistes.

Au niveau moteur, la 934 est équipée bien entendu d’un moteur dérivé de la 930 (cylindrée de 3 L), mais comporte tout de même quelques modifications comme deux échangeurs air-eau (un par banc de cylindres). La puissance a été portée à 480 cv pour un poids total de moins de 1100 kg.

Si l’aspect global de l’auto doit correspondre au modèle de série, cela n’empêche pas Porsche de lui adjoindre de larges extensions d’ailes lui permettant de caser les pneus de compétitions.

Et en effet, elle ressemble à furieusement au modèle de série:

La Porsche 934 aperçue à Hardelot en 2017 Comme on peut le voir, le règlement du groupe 4 était très strict sur l'aspect extérieur

La 934 courut jusqu’à la fin des années 70 et remporta de nombreuses épreuves. Elle décrocha notamment les 2 premières places du championnat Trans-Am américain.

La 935

Mais la 934 c’était juste pour s’échauffer. La “bête” c’est bien sûr la 935, destinée à courir dans le groupe 5 de la FIA (la catégorie “voitures de sport”) plus connue à l’époque sous le sobriquet catégorie “silhouette”.

Norbert Singer, chef du département compétition chez Porsche à l’époque, estimait que tout ce qui n’était pas explicitement interdit par le règlement était permis. Montrant un talent certain pour l’interprétation du règlement flou de la FIA, Porsche prit certaines libertés avec l’aérodynamisme. Mais que les inspecteurs de la FIA se rassurent: le toit et les portes étaient bien ceux du modèle de série comme le stipulait le dit règlement, évoquant la “silhouette” de la 911.

Ce qui donna naissance à la fameuse 935 et son interminable queue, lui valant le surnom de “Moby Dick”:

La 935 Moby Dick avec sa longue queue La 935 en action

Pour optimiser l'aérodynamisme, l'avant de la 935 est tout-à-fait plat Vue de l'arrière, on se rend mieux compte de la longueur extravagante de la queue

Pendant que Singer s’occupe de la “silhouette”, Hans Mezger, motoriste chez Porsche, fait entrer 4 soupapes par cylindre dans la culasse et passe au refroidissement liquide. Le règlement stipule aussi que les blocs-cylindres de série doivent être utilisés, moyennant “un peu d’usinage”. Mouais… De la 911 originale, les ingénieurs n’ont conservé qu’un vilebrequin modifié. Tout le reste, pistons, bielles, arbres à cames était nouveau.

Le résultat est à la hauteur du reste: démesuré. Ainsi préparé, Porsche arrive à en tirer 750 chevaux (260 cv pour le modèle routier). La voiture ne pèse que 1025 kg.

Jürgen Barth, pilote usine est le premier à en prendre le volant. Il déclare:

C’est la première fois que je conduisais une voiture de course avec les deux mains fermement agrippées sur le volant. Avec la pression du turbo jusqu’au régime maxi je pense que nous disposions de plus de 900 chevaux.

On atteignait 160 km/h en 6 secondes. Sur le deuxième rapport. On passait ensuite la troisième, puis la quatrième avec la même puissance d’accélération à chaque fois !”

La voiture est engagée aux 24H du Mans et est mesurée plusieurs fois à 365 km/h dans la ligne droite des Hunaudières.

Malheureusement, Moby Dick ne parvient pas à satisfaire les espoirs qu’elle a engendrés. Elle ne termine pas sa première course et termine huitième aux 24H du mans. Porsche ne produira que 2 exemplaires de cette machine.

Ce n’est que quelques années plus tard que des préparateurs privés, les frères Kremer, arrivent à en tirer la quintessence en réduisant le poids, améliorant le refroidissement, augmentant la puissance (805 chevaux) et en augmentant la rigidité du châssis en soudant 30 mètres de tubes en aluminium. La carrosserie est refaite en Kevlar, ce qui en réduit le poids de 30 kg mais en multiplie le prix par 10.

D’après Manfred Kremer, une centaine de modifications ont été apportées à la 935 d’usine. Ces changements “augmentent l’efficacité de la voiture de 1%, juste assez pour gagner les courses”. Et en effet, la 935 K3 des frères Kremer décroche la victoire de l’édition 1979 des 24H du Mans alors que deux autres K3 terminent troisième et onzième. Et une 934 occupe la quatrième place.

Klaus Ludwig, pilote de l’équipe Kremer gagnera 11 des 12 épreuves du championnat d’Europe GT qu’il remportera haut la main.

La 935 K3 victorieuse des 24H du Mans en 1979 La 935 K3 en action sous la pluie

Cette 935 du Dick Barbour Racing, pilotée par Paul Newman finit deuxième aux 24 heures du Mans 1979

La 936

Enfin, pour le groupe 6, nous avons la 936.

Mais c’est juste histoire d’être exhaustif car pour le coup, cette 936 n’a vraiment plus rien à voir avec la 911, mis à part son moteur (6 cylindres turbo, 2.140 L pour 540 chevaux). C’est plutôt une descendante directe de la 917 dont elle partage de nombreuses éléments.

Elle vécut en même temps que la 935 et obtint un palmarès tout-à-fait honorable avec notamment 3 victoires aux 24H du Mans en 1976, 1977 et 1981, toutes avec Jacky Ickx au volant.

Sur cette photo on voit clairement la filiation avec la 917 Une réplique particulièrement bien réussie de la 936

Le bonus de fin

Si vous êtes un lecteur attentif, vous vous souvenez sûrement d’une photo prise lors du salon InterClassics de novembre dernier.

Voici la photo en question:

Un remake moderne de la Porsche 935

On y voit une sorte de réplique moderne de la 935. Elle est basée sur la Porsche turbo la plus puissante du moment, à savoir la GT2 RS (bi-turbo 700 chevaux et 750 Nm de couple). Elle a été produite à 77 exemplaires et son prix est de 850.000 €. À côté de ça, la nouvelle 992 Turbo (même en version “S”) passe pour la turbo du pauvre.

Et bien figurez-vous que cette voiture n’a pas été construite juste pour faire joli sur le stand de l’ACO Belgium, mais bien pour participer à des vraies courses. Et pas n’importe lesquelles. La prochaine épreuve où cette 935 moderne brillera (ou pas) est la course de côte la plus célèbre au monde: Pikes Peak.

Pikes Peak (Colorado Springs, États-Unis) est à la course de côte ce que le Nürburgring est au circuit: la plus longue, la plus haute et la plus dangereuse course de côte au monde. Elle démarre à 2.865 mètres d’altitude et se termine 1.440 mètres plus haut.

Si vous ne devez regarder qu’une vidéo pour vous rendre compte du “challenge”, je vous conseille celle-ci (“Climb Dance”):

Climb Dance

Elle ne dure que 5 minutes et on y voit Ari Vatanen au volant d’une Peugeot 405 (très largement modifiée) partir à l’assaut du sommet. Comme elle a été tournée en 1988, une grande partie du parcours était composé de terre, de poussière et de gravier (il faudra attendre 2012 pour que les 20 km du tracé soient asphaltés). Vous remarquerez au passage qu’on ne s’embête pas avec des barrières de sécurité.

Plus récemment, en 2013, Sébastien Loeb s’est également “frotté” à l’épreuve à bord d’une Peugeot (encore) 208 T16 faisant 875 chevaux pour 875 kg (oui vous lisez bien, ça fait 1 cv / kg). Le 0 à 100 km/h est englouti en 1,8 secondes, c’est-à-dire plus vite qu’une Formule 1… (je n’aurais jamais cru ça d’une Peugeot)

Pour en revenir à notre 935, elle sera pilotée par Jeff Zwart qui a déjà participé à l’épreuve 17 fois à bord d’une douzaine de Porsche 911. On peut donc espérer qu’il termine honorablement cette édition 2020. Corona dictateur oblige, pas de public cette année, mais il sera possible de suivre l’épreuve sur différents médias (voyez le site officiel).

Rendez-vous donc le 30 août pour savoir si cette 935 moderne à 850.000 € sera à la hauteur de son illustre aïeule.

Mise à jour septembre 2020

Le verdict est tombé: pas mal mais peut mieux faire pour cette 935 moderne qui termine 5 ième au général, à un peu plus de 8 secondes du premier (Clint Vahsholtz sur un prototype ouvert).

À noter l’excellente performance d’une autre Porsche (une “bête” GT2 RS 4 fois moins cher que la nouvelle 935) pilotée par David Donner qui se classe 3 ième au général à seulement 1 seconde du premier. Comme quoi…

L’ensemble des résultats officiels peut être consulté ici.